La Confrérie Profane : Les Femmes de l’Élite de Richmond qui Partageaient leurs Esclaves Masculins (1849)

La fraternité profane : les femmes de l’élite de Richmond qui partageaient leurs esclaves masculins (1849)

Richmond, Virginie, 1849. C’était une ville enveloppée de prospérité et parfumée par la richesse du tabac. Ses majestueuses demeures le long de Church Hill étaient des monuments au raffinement, à la foi et à la vertu du Sud. Mais derrière ces papiers peints français importés et les portes closes des salons, quelque chose d’autre prenait forme — quelque chose qui, un jour, ferait trembler les couloirs du pouvoir en Virginie et laisserait une tache indélébile sur sa société élégante.

Entre mars et novembre de cette année-là, dix-sept hommes réduits en esclavage disparurent des registres comptables des familles les plus prestigieuses de Richmond. Les documents officiels affirmaient qu’ils avaient été vendus à des plantations plus au sud. Pourtant, aucun navire ne portait leurs noms, aucune facture de vente ne correspondait aux transferts. Ce que cachaient les registres n’était pas une erreur administrative, mais un secret si grave qu’il obligea la législature de Virginie à tenir une session d’urgence et à sceller ses conclusions pendant soixante-quinze ans.

Les salons cachés de Church Hill

Au centre de ce scandale se trouvaient huit femmes — épouses de juges, de banquiers et de commerçants — qui formèrent ce qu’on appellerait plus tard La Fraternité Profane. Pour le monde, elles étaient des modèles de bienséance : mécènes de la charité, décoratrices d’églises, hôtesses de salons raffinés. Mais à partir de ce printemps-là, leurs réunions du mardi et du jeudi après-midi prirent un sens beaucoup plus sombre.

Leur chef était Catherine Harrowe, quarante-trois ans, veuve fortunée et intelligente, administrant l’empire du tabac de son défunt père avec une autorité tranquille. Son mari, juge de tribunal, était souvent absent. En son absence, Catherine commença à organiser des « réunions privées » dans son manoir de Franklin Street — des réunions auxquelles n’assistaient qu’un cercle restreint de femmes et le même petit nombre de serviteurs masculins.

Ces serviteurs étaient des hommes esclaves, choisis pour leur jeunesse, leur force et leur obéissance. Et ils n’étaient pas là pour servir le thé.

Tout commença, comme le font souvent ces horreurs, par une transgression. Catherine fit venir son serviteur personnel, Samuel, pour déplacer des meubles. Lorsqu’il entra, elle ferma la porte. Elle lui offrit du thé, un acte défiant toutes les règles de leur monde. Puis elle parla de solitude — d’un mariage de devoir plutôt que d’amour — et franchit une ligne qu’aucun d’eux ne pourrait jamais effacer.

Une semaine plus tard, Catherine confia son secret à son amie d’enfance, Eleanora Randolph, descendante d’une illustre lignée de Virginie. Ce qui avait commencé comme une confession chuchotée devint bientôt une imitation. En avril, six autres femmes — épouses de banquiers, magnats du tabac et juges — firent de même.

Elles se surnommèrent, avec une ironie amère, La Fraternité de la Charité.

La machine de l’exploitation

À l’été, la Fraternité avait mis en place un système aussi secret que dépravé. Les hommes étaient transférés d’une maison à l’autre sous de faux prétextes, afin que leur absence ne suscite pas de soupçons. Elles tenaient une double comptabilité : l’une pour leurs maris, l’autre codée pour leurs véritables activités. Des signaux, des phrases et des guetteurs assuraient leur discrétion.

Les hommes n’avaient aucun choix. Refuser signifiait les coups de fouet, la vente, ou des représailles contre leurs familles. Certains rentraient brisés et silencieux ; d’autres devinrent des coquilles vides. Dans les quartiers des esclaves de Richmond, leurs épouses remarquèrent les changements : ces hommes autrefois fiers baissaient désormais les yeux.

Une femme, Rachel, nourrice ayant élevé sa maîtresse depuis l’enfance, osa l’affronter. « Vous ne pouvez pas faire cela sans corrompre tout ce que vous touchez », dit-elle à Margaret Wickham, descendante des premiers colons de Jamestown. La réponse fut glaciale : « Si tu tiens à la sécurité de ta fille, tu ne parleras plus jamais de cela. »

Rachel obéit, mais dans les cuisines et les chambres de Church Hill, les rumeurs se répandirent. De petits actes de résistance apparurent : repas gâchés, lettres perdues, clés égarées — des sabotages discrets pour troubler les rituels obscènes de leurs maîtresses.

Le lanceur d’alerte

Ce fut Samuel qui rompit enfin le silence. Instruit en secret, il savait lire — rareté parmi les esclaves. Ayant appris qu’Eleanora Randolph tenait un journal codé, il s’allia à un autre esclave, Isaac. Une nuit, pendant qu’Eleanora dînait à l’extérieur, ils forcèrent son bureau, copièrent plusieurs pages et les apportèrent au révérend William Thompson, pasteur de l’église épiscopale Saint-Jean.

Thompson, homme de foi sévère, dénonçait publiquement la corruption morale engendrée par l’esclavage. Lorsque Samuel raconta les “réunions” de la Fraternité, le doute fit place à l’horreur. Ensemble, ils déchiffrèrent le code à la lueur d’une lampe : les écrits étaient explicites, méthodiques, accablants.

Thompson apporta les preuves à l’évêque William Meade, chef de l’église épiscopale de Virginie. « Si cela est vrai », dit Meade, « c’est une corruption morale d’une profondeur que je peine à concevoir. »

Une enquête secrète fut convoquée le 10 septembre 1849. Cinq hommes de « réputation irréprochable » — un commerçant, un médecin, un avocat, un propriétaire terrien et un professeur — entendirent les témoignages.

L’enquête qui ébranla la Virginie

Dans une salle close, Samuel et Isaac témoignèrent d’une voix calme et ferme. Puis vint Rachel, racontant les menaces contre sa fille. Enfin, un médecin confirma leurs dires, évoquant des « maux féminins » liés à des rapports répétés.

Le soir venu, le verdict fut unanime : les preuves étaient irréfutables. L’évêque Meade remit un rapport au gouverneur John Floyd. Celui-ci, rouge de colère, murmura : « Si cela devient public, certaines des familles les plus puissantes de Virginie seront détruites. »

Il convoqua une session secrète de l’Assemblée générale. Le 14 septembre 1849, il s’adressa aux législateurs :
« Messieurs, ce que je vais vous révéler mettra votre foi à l’épreuve. Mais la justice doit rester notre guide. »

Le silence s’abattit après la lecture. Des sénateurs pleurèrent. Le débat fut féroce : certains accusèrent les femmes, d’autres les esclaves. Mais un jeune délégué, Samuel McDow, prononça un discours resté célèbre :
« Ce n’était pas de l’adultère. C’était de la coercition. Si nous n’agissons pas, nous prouvons que la loi ne protège que les puissants. »

Après minuit, la décision tomba : les huit femmes seraient exilées et leurs biens confisqués. Les hommes, achetés et libérés, furent bannis de Virginie sous trente jours. Tous les dossiers furent scellés jusqu’en 1924.

La chute de la fraternité

À l’aube du 15 septembre, les décrets furent remis. Catherine Harrowe accepta calmement l’exil. « Tu as violé tout ce qui est sacré », dit son mari. Elle répondit : « Et toi, tu ne vois pas de péché dans un système qui m’a donné un tel pouvoir. »

Eleanora Randolph s’effondra. Son mari choisit de la suivre en exil : « Elle reste ma femme. »
Margaret Wickham s’emporta, criant à la conspiration abolitionniste.

À la fin du mois, les huit femmes avaient disparu — dispersées entre La Nouvelle-Orléans, Philadelphie et Baltimore. Richmond réécrivit l’histoire : officiellement, elles avaient été exilées pour des “irrégularités financières”.

Liberté et silence

Samuel reçut son acte de libération le 20 septembre. Il quitta Richmond avec sa famille pour Philadelphie, où il vécut en menuisier, gardant un journal secret. Isaac partit à New York, rejoignant les cercles abolitionnistes. En 1853, il déclara devant une foule :
« L’esclavage corrompt tout ce qu’il touche. Donnez à un homme un pouvoir absolu sur un autre, et il en abusera — par le fouet ou par la luxure. »

Rachel, restée à Richmond, vécut assez longtemps pour voir la guerre civile approcher. « Ne laissez jamais personne vous dire qu’ils valent mieux que nous », dit-elle à ses petits-enfants. Elle mourut en 1860, oubliée de l’histoire.

Soixante-quinze ans de silence

Les archives, scellées sous le nom Enquête de Church Hill, 1849 — Restreint, ne furent ouvertes qu’en 1924. Les pages jaunies, l’encre fanée, les témoignages semblaient tirés d’un roman gothique — mais tout était vrai : le journal codé, le rapport de l’évêque, les décrets.

L’élite de Richmond avait oublié la Fraternité de la Charité, mais chez les familles noires, l’histoire n’était jamais morte. Transmise à voix basse, comme une légende interdite.

Car en 1849, au cœur de la ville la plus fière du Sud, ceux qui prétendaient être les gardiens de la civilisation avaient bâti leur propre enfer privé.

Et pour la première fois dans l’histoire de la Virginie, cet enfer osa regarder en arrière.

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